25 ans d’Éveil
Ne cherchez pas le bâtiment du Théâtre de l’Éveil, il n’existe pas ! Dans un pays qui confond souvent culture et placement immobilier, cette troupe s’est forgé une identité forte au fil de collaborations nomades avec l’Atelier théâtral de Louvain-la-Neuve, le Nouveau Théâtre de Belgique, le Centre dramatique hainuyer, le Public.
Sans jamais « investir dans les briques », les compagnons ont su préserver leur autonomie et leur spécificité, laissant dans la mémoire de notre théâtre des productions marquantes.
De « L’Éveil du printemps » à « L’Opéra de quat’sous », de « Salut Lenny » à « Sauvé(s) », en passant par « Les Instituteurs immoraux », » Les Jumeaux vénitiens », » Fin de partie » ou « Bouvard et Pécuchet », leur palmarès force le respect et l’admiration. Parce qu’il a su trouver une voie exacte entre rigueur artistique et accessibilité publique, entre éthique et plaisir, entre esthétique et engagement.
LE NOM LE PLUS LONG
Mais comment tout cela a-t-il commencé ?
En 1982, Armand Delcampe, directeur de l’Atelier théâtral de Louvain-la-Neuve, décide, par manque de moyens financiers, de réduire le nombre, les effectifs et la durée de ses productions.
Quelques-uns des plus « anciens » des comédiens de la troupe lui proposent alors de produire eux-mêmes un spectacle pour sauvegarder leur outil de travail.
André Leenaerts, Guy Pion, Christian Crahay, Jean-Marie Pétiniot, Béatrix Ferauge, Michel Wouters et quelques autres (ils sont une petite quinzaine) signent une convention avec la maison mère. « Nous ne nous considérions pas comme une dissidence, se souvient Guy Pion dans son livre. Aussi avons-nous opté pour l’appellation sans doute la plus longue, la plus tordue mais aussi la plus précise jamais recensée : Création-production autonome des Acteurs de la Compagnie de l’Atelier théâtral de Louvain-la-Neuve. Quelques mois plus tard, au vu du succès de notre premier spectacle, L’Eveil du printemps de Frank Wedekind, l’intitulé « Théâtre de l’Eveil » nous a paru plus commode et plus appropriée. »
En deux décennies et demie, le label à fait florès. Mais dans son livre de souvenirs(1), Guy Pion ne relate pas que les succès et les moments de bonheur. A l’image de la vie, son récit illustre les joies et les peines, les enthousiasmes et les frustrations voire les projets avortés, sans jamais tomber dans l’invective ni dans le panégyrique.
RENCONTRE AVEC RONSE
Il évoque la rencontre avec Henri Ronse lors de sa mise en scène de « Warna » de Paul Willems au Théâtre national. Le compagnonnage de l’Eveil avec le Nouveau Théâtre de Belgique ne fut pas de tout repos. Il nous vaudra entre autres « Le Rôdeur » d’Enzo Corman, dans un ancien cinéma de la place des Martyrs en partie incendié – qui n’est pas encore la salle que nous connaissons aujourd’hui -, une adaptation de Sade par Jean-Marie Piemme, « Scènes de chasse en Bavière » de Martin Sperr ou encore « Salut Lenny », spectacle jazzy à l’humour dérangeant sur le fantaisiste Lenny Bruce.
UN THÉÂTRE EN RÉSIDENCE
En 1990, les directeurs du Centre dramatique hainuyer, Yves Vasseur et Robert Cordier, prennent le Théâtre de l’Eveil en résidence à Mons. Henri Cammarata, responsable de la Maison de la Culture, leur ouvre la salle et les locaux des Arbalestriers. Les voici même nantis d’un bureau !
La première création montoise fait date : « Sauvé(s) » du controversé dramaturge anglais Edward Bond, dans une adaptation de Jean Louvet et un décor de Claude Renard, divise la critique et le public.
« LA RONDE »
Et puis ce sera encore « La Ronde » d’après Schnitzler, « Le Journal intime de Sally Mara » d’après Queneau, « Les Géants de la montagne » de Pirandello, etc.
En 1997, « Arlequin valet de deux maîtres » débusque une nouvelle et féconde piste. La collaboration avec le metteur en scène italien Carlo Boso, maître ès commedia dell’arte, et avec le Théâtre le Public ouvre la voie à une suite de spectacles aux longues séries de représentations. « Mort d’un commis voyageur » de Miller, « Othello » de Shakespeare, « Mort accidentelle d’un anarchiste » de Dario Fo, « La Cerisaie » de Tchekhov (avec un incroyable périple de préparation à Moscou), « L’Atelier » de Grumberg, autant de réalisations mémorables.
PASSION ET ILLUSIONS
Vingt-cinq ans et trente-cinq spectacles plus tard, Guy Pion a sans doute perdu quelques-unes de ses illusions mais sa passion de faire du théâtre reste intacte. Il prépare activement une grande fête du 14 octobre prochain au Manège de Mons et se réjouit de présenter au Public, à partir du 14 novembre, « L’Oiseau vert » de Carlo Gozzi(2) dans la mise en scène de Carlo Boso.
A suivre, donc !
Vingt-cinq ans d’Éveil
Philip Tirard