Juin 2010 Interview Eric Russon / Guy Pion
Dernier des « Invités du Public » de la saison passée, Guy Pion s’est prêté au jeu et a répondu aux questions concoctées par Eric Russon, journaliste de la Première et de 50°Nord, avec l’aide des spectateurs qui ont désiré lui en poser.
Depuis 1997, Guy Pion et ses acolytes du Théâtre de l’Eveil sont des compagnons de route du Public et on ne compte plus les coproductions qui lient les deux théâtres*.
Guy Pion est donc un peu chez lui pour cet entretien, d’autant plus que celui-ci a lieu, en présence du public, dans le décor d’ »Intox » qu’il joue encore pour quelques représentations. C’est donc, comme il le dit, dans son bureau de directeur de chaîne de télévision, qu’il reçoit Eric Russon.
L’occasion pour ACTE de retracer le parcours de Guy Pion, cet artisan du théâtre, pétri de conviction et de passion.
Rien, apparemment ne prédisposait Guy Pion au métier d’acteur – même s’il s’y essaie dans le cadre scolaire – à part un réel besoin de communiquer qui le pousse à envisager de faire sciences-po à la sortie du collège. L’idée de base étant de devenir journaliste. Il ne le deviendra pas (à l’inverse de son ami d’enfance, Georges Moucheron qui abandonnera ses rêves premiers de théâtre pour rejoindre la RTBF). La découverte de l’ « Antigone » de Brecht présentée à Bruxelles par le Living Theater persuade Guy d’arrêter l’université et de rentrer à l’IAD. Il y découvre, avec Pierre Debauche, que le théâtre est fait de recherche permanente, de lectures, d’observation, d’immersion et d’absorption.
Si, pour définir le théâtre qu’il aime faire, les adjectifs « engagé », « populaire », « citoyen » lui paraissent aujourd’hui vides et galvaudés, il en admet et revendique l’essence. Le théâtre est né avec la démocratie, rappelle-t-il, il en est le reflet. Il est une réflexion sur la cité. C’est donc un théâtre qui suppose l’engagement. C’est pour ça que Guy Pion fait du théâtre, pour communiquer et pour s’engager. « La richesse du théâtre, dit-il, dans un monde de sur-communication, c’est qu’il donne du sens, du contenu à ce qui est communiqué. » La mort du théâtre, annoncée de longue date, n’est donc pas pour demain selon lui. Les formes en ont évolué bien sûr, et elles évolueront encore, mais la nécessité de communiquer via de textes littéraires existera toujours.
Et les grands auteurs qui ont accompagnés son parcours d’acteur sont Brecht, bien sûr, mais encore Edward Bond, Tchekhov, Shakespeare, Beckett. Ils ont en commun, pour Guy Pion, de porter un regard critique sur les modes de fonctionnement des gens, des sociétés. « Le théâtre c’est, sans morale, sans leçon, comment apprendre à vivre mieux en société. C’est prendre son destin en main, avoir confiance en soi et en ses contemporains. « Les rendre meilleurs donc, d’une certaine façon ».
Mais c’est différent de la politique ! Selon Guy, le théâtre est un métier, ce que ne devrait pas être la politique. La politique devrait être un service rendu, offert à la société. En jouant, lui se met au service de la société. Alors là, oui, le théâtre devient politique. Et d’ailleurs, quand la culture tousse, c’est toute la démocratie qui a mal à la tête. Encore faut-il que cette culture, ce théâtre, soit en recherche permanente, qu’il y ait un renouvellement des choses. D’où l’importance de l’existence des jeunes compagnies et de l’émergence de jeunes comédiens, qui souvent sans un sou, imaginent des centaines de projets et renouvellent la vague, l’entretiennent. Il y a donc une obligation de passage de relais en même temps qu’un travail de mémoire. Quand ça n’existe pas, c’est une catastrophe, et on n’est plus dans la démocratie. Et c’est parce que ces passage de relais sont indispensables que Guy a accepté, il n’y a pas si longtemps, de devenir professeur. Car c’est un métier qui s’apprend, dit-il, et qui est fait de 70% de technique et de 30% de personnalité, de charisme, de physique. 30% de talent ? Pourtant, il n’est pas devenu professeur pour « apprendre » aux autres, mais pour transmettre.
Et puis, il a eu la chance de travailler à la Nuova Scena de Dario Fo. L’IAD offrait alors la possibilité aux élèves de dernière année de se former à l’étranger. Et Guy s’est ainsi retrouvé à Milan à faire tous les métiers du théâtre, à monter des décors, à faire de l’assistanat, auprès de Dario Fo et de sa troupe. Expérience forte dans l’entourage d’un homme qui, sur et hors plateau, était extraordinaire de vitalité, de désir et de sympathie.
Guy éprouve donc que : « Une équipe artistique, ce ne sont pas que des comédiens peinturlurés sur un plateau. Ce sont aussi des techniciens, des scénographes, des régisseurs. » L’esprit de troupe l’habite donc, depuis l’enfance, depuis l’école, lui paraît-il. Il n’a d’ailleurs travaillé que dans cet esprit : au National, à l’Ensemble Théâtral Mobile, à Louvain-la-Neuve. Il croit à cette notion de compagnie, au point que lorsque le Jean Vilar, dirigé par Armand Delcampe, rencontrant des difficultés de gestion, renonce à monter un spectacle, plutôt que de ne rien faire et se croiser les bras, les comédiens se prennent en main et avec les moyens du bord, créent « L’Eveil du Printemps » de Wedekind. C’est un succès. Et ainsi naît une nouvelle troupe, un nouveau théâtre, un nouvel élan : Le Théâtre de l’Eveil, qu’il co-dirige avec Béatrix Ferauge depuis 1982.
Le Théâtre de l’Eveil est donc né de ce désir de « faire quelque chose ensemble », qui tient de l’utopie, de la naïveté, d’une envie de liberté. Et cela se retrouve dans certaines thématiques liées à cette notion fondamentale de démocratie. A l’époque de sa création, les artistes de l’Eveil avaient dressé une liste de 20 pièces à lire et qui pourraient être montées un jour. En vingt cinq ans, L’Eveil a créé 15 de ces pièces, preuve d’une belle constance d’esprit et de conscience. Et preuve qu’il y a des textes fondateurs, comme il y a des pères fondateurs. Ces pères de théâtre dont il semble à Guy qu’on n’ait pas le désir de se souvenir en Belgique.
Et de rappeler qui furent, pour lui, ces pères fondateurs : Dario Fo, André Steiger, Henri Chanal, Pierre Debauche, Marc Liebens, Otomar Krejca**. Avec eux, Guy Pion, partage la rigueur qu’impose ce métier. Car les gens de théâtre ont une immense responsabilité vis-à-vis de la société. Ils sont parmi les rares, avec les politiciens, les scientifiques, les sportifs aussi, à qui on donne la parole. Et donc l’artiste se doit d’être un individu responsable qui ne peut pas dire n’importe quoi, parce que son discours est public. D’où la nécessité de rigueur de pensée, d’interprétation, de choix artistiques qui sont forcément liés à une rigueur de vie.
Guy Pion applique cette rigueur à son métier d’acteur. Il a d’ailleurs des projets plein les poches. La saison nouvelle sera riche pour lui et le Théâtre de l’Eveil. Outre la reprise d’ »Intox » de Michel Huisman au Public, il mettra en scène pour l’Eveil « Les névroses sexuelles de nos parents » de Lukas Bärfuss, sur le sujet de la normalité et l’anormalité. Retour au Public ensuite pour « Un fil à la patte », nouvelle coproduction entre les deux théâtres. Il y a encore le projet exaltant, à moyen terme, d’un travail avec Nancy Houston qui écrit un texte « sur mesure » pour le Public, le Théâtre des Osses (Fribourg) et l’Eveil.
*Arlequin valet de deux maîtres – Mort d’un commis voyageur – l’Opéra de quat’sous – Rouge, noir et Ignorant – Fin de partie – La Cerisaie – La tragédie d’Othello – Les Jumeaux vénitiens – Moscou nuit blanche – Mort accidentelle d’un anarchiste – La noce chez les petits bourgeois – Mais qu’est-ce qu’on a fait pour en arriver là ? – L’atelier – L’oiseau vert – Si c’est chanté, c’est pas perdu – Faut pas payer – Intox.
** Dario Fo, écrivain italien, dramaturge, metteur en scène et acteur – André Steiger, comédien, metteur en scène, adaptateur, écrivain et pédagogue suisse – Henri Chanal, acteur, danseur, metteur en scène, pédagogue et fondateur du Théâtre laboratoire vicinal (TLV) et du Plan K – Pierre Debauche, homme de théâtre, acteur, metteur en scène franco-belge, il fut le directeur- fondateur du Théâtre des Amandiers de Nanterre et il est celui du Théâtre du Jour à Agen – Marc Liebens, dramaturge et metteur en scène, fondateur du Théâtre du Parvis puis de l’Ensemble Théâtral Mobile – Otomar Krejca, comédien, metteur en scène tchèque, fondateur du célèbre théâtre pragois de la fin des années 1960 « Divadlo za branou ».
Une conscience en éveil – interview réalisé le 26 juin 2010 – retranscrit par Michel Vanderlinden.