Animal Farm

de Thierry Debroux (d'après George Orwell)


 

 Une création intelligente et atypique  

Après 1984, le Théâtre Royal du Parc nous propose une adaptation musicale de l’autre roman bien connu de Georges Orwell, Animal Farm. Une dizaine de comédiens, de chanteuses et de chanteurs vous entraînent dans cette ferme où les animaux ont chassé les hommes pour finalement reconstituer une société encore pire que la précédente. Une oeuvre qui n’a pas pris une ride et apparaît toujours aujourd’hui comme d’une brûlante actualité.

Animés par les idéaux d’un vieux cochon dénommé Sage l’ancien des animaux décident de se révolter contre leur maître, M. Jones, dans l’espoir de mener une vie autonome dans l’égalité, l’entraide et la paix pour tous.

La ferme passe alors sous le contrôle des animaux et est dès lors gérée dans le respect des sept commandements qui prônent le pacifisme tout en définissant les spécificités des animaux, présentées comme une richesse. L’ennemi est clairement désigné : l’homme doit disparaître du lieu, une cohésion doit se créer entre les bêtes et se renforcer autour de la menace humaine.

Très rapidement, les cochons forment une élite et sont amenés à prendre le pouvoir, asservissant les autres animaux. Ils utilisent leur intelligence supérieure pour manipuler les craintes et modifier le passé à leur avantage. Les idéaux sont très vite dénaturés, les principes généreux insensiblement dévoyés. Un dictateur émerge, chasse son principal rival, puis exécute les « traîtres » pour asseoir son pouvoir de plus en plus hégémonique. Il instaure un culte de la personnalité, maintient ses congénères en état de soumission et les épuise par un travail harassant.

Ce maître, devenu tout puissant avec l’aide des chiens et des autres cochons, continue à leur faire miroiter le même espoir, mais leur fixe un objectif inaccessible tout en leur promettant sans cesse une vie meilleure afin de les maintenir dans cette utopie. Les années passent et l’ouvrage s’achève sur un constat amer pour les autres animaux asservis : plus rien ne semble distinguer les cochons de leurs anciens maîtres.

Il faut bien reconnaître que Thierry Debroux n’a pas son pareil lorsqu’il s’agit d’adapter des classiques jugés inadaptables pour le théâtre. Ce fut déjà le cas avec 1984 du même Orwell dont son adaptation pour les planches fut brillante et étonnante, et cette fois il remet le couvert pour Animal Farm en nous proposant une pièce atypique, entre farce musicale et apologue dramaturgique acerbe revenant à l’essence même du roman de l’auteur. Tristement intemporelle, cette critique métaphorique de la dérive totalitaire résonne hélas comme terriblement actuelle au jour d’aujourd’hui au vu de l’actualité internationale.

L’homme ne cessera t’il jamais sa quête de domination et de pouvoir à tout prix ?

Mais revenons-en à la pièce qui lors de la première de ce jeudi, en présence de sa majesté le Roi Philippe et ses enfants, fut ovationnée pendant plus de trois longues minutes par un public très diversifié. Car cette création peut se voir en famille, forte qu’elle est de deux lignes de lecture, l’une accessible aux enfants tel un conte animalier, l’autre renvoyant les adultes face à eux mêmes et aux travers de l’histoire de l’humanité.

On sort du spectacle partagé entre deux sentiments, celui d’avoir passé une excellente soirée face à un spectacle bluffant, et celui de ne pas retrouver totalement le souvenir choc qu’avait suscité en nous la lecture du roman. Mais rassurez vous, le positif l’emporte grandement sur la comparaison inévitable que chacun fera indubitablement avec ses souvenirs personnels de la découverte du roman, pour ceux qui l’ont lu.

Par ailleurs, Animal Farm, la pièce, est servie par un casting impeccable de comédiens, de chanteurs et de danseurs où l’on retrouve quelques piliers du théâtre belge comme Guy Pion (Beau parleur), Thierry Janssen que sa voix de stentor rend parfait dans ses personnages de Sage L’Ancien et du fermier Pilkington, Fabian Finkels  comédien-chanteur dont les multiples talents sont une fois encore admirablement mis en exergue (Boule de Neige), Béatrix Férauge (Fleur de Trèfle), Manuel Chemla (Hercule), Emmanuelle Lamberts (Eglantine), David Pion (qui campe un César implacable), Gaspard Rozenwajn (incroyable Le Rat !), Malika Temoura (Moïse), Hélène Philippe (Molly), Guillaume Druez (Mr Jones) et Camille Decock (Muriel). Sans compter les chats et moutons incarnés en alternance par des jeunes talents.

Comme toujours au Théâtre Royal du Parc, l’équipe de création artistique et technique a fait des miracles.

La scénographie est inventive, les costumes très réussis et les masques impressionnants très à propos, le tout sur une musique de Laurent Beumier et des chorégraphies dEmmanuelle Lamberts.

Animal Farm risque peut-être d’en désarçonner certains par son originalité et son mélange de genre, mais séduit indiscutablement par son adaptation ambitieuse et atypique qui ramène l’oeuvre d’Orwell accessible à tous.

Et sur ce plan, quel bonheur !

Jean-Pierre Vanderlinden – Branchés Culture

 

Animal Farm: bêtes de scène!

Tout est bon dans ces cochons (même s’ils s’avèrent de gros porcs tyranniques) mis en scène au Théâtre du Parc dans une adaptation au cordeau du chef d’œuvre d’Orwell : « La ferme des animaux. » A la fois divertissante et familiale, la pièce renvoie sans détour aux actuels despotes de tous poils.

Publiée en 1945, et imaginée comme une critique de la révolution russe et du stalinisme, La Ferme des animaux s’est, au fil du temps, muée en parabole implacable de toutes les formes de tyrannie qui menacent, encore et toujours, nos démocraties. Parfois avec une évidence criante, comme en Russie actuellement (pour ne citer qu’un exemple à l’heure où les despotes se reproduisent plus vite que des lapins). Parfois de manière plus insidieuse, quand l’expression même d’une pensée suscite opprobres et contre-vérités. Génial visionnaire (son 1984 avait déjà tout prédit de nos sociétés de surveillance), Georges Orwell nous sert aujourd’hui sur un plateau, celui du Théâtre du Parc, un avertissement impitoyable, ses bêtes de ferme (cochons, vaches, chèvres et autres chevaux) préfigurant la bête immonde.

« Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres, » écrit Orwell dans cette fable dystopique qui fait de lui le plus contemporain des lanceurs d’alerte. A la mise en scène de cette Animal Farm (l’anglicisme traduit-il les tentations totalitaires qui se répandent bien au-delà de nos frontières ?), Emmanuelle Lamberts et Thierry Debroux optent pour une comédie musicale dans un genre très familial, qui permet de s’adresser à tous les âges (la pièce est accessible dès 8 ans) mais sans pour autant éluder la conclusion lucide (et pessimiste) de l’œuvre. Plus fort encore que le célèbre musical Cats et ses accoutrements félins, Animal Farm déploie une impressionnante gamme de costumes (signée Béa Pendesini) pour figurer les animaux de la ferme. Arrière-trains équestres exagérés ou ventre porcins outrés : les prothèses dodues confèrent aux comédiens un aspect délicieusement grotesque tandis que les masques, aux formes plus cubiques, trahissent les intentions tranchantes de ce conte tragique.

Révolution confisquée

Sobre, le décor de Vincent Bresmal et Matthieu Delcourt évoque la tôle froide d’un hangar, tel qu’on l’imagine dans une ferme industrielle. C’est là qu’un groupe d’animaux, lassé par le régime de terreur que leur inflige le fermier, Mr Jones, va se révolter, chassant l’homme de sa ferme pour reprendre le pouvoir. Désormais libres, les animaux érigent une série de règles pour faire fonctionner la ferme dans le respect et l’autonomie. Hélas, cette révolution va bientôt être confisquée par une bande de cochons qui, agitant le spectre de l’anarchie, réinstaure une forme de hiérarchie et de pouvoir. Peu à peu, ce « meilleur des mondes » tourne à l’arnaque pour ces bêtes à manger du foin (littéralement) tandis qu’une poignée de porcs (dans tous les sens du terme) dévoient les commandements de la communauté pour exploiter et maltraiter leurs concitoyens. Jusqu’à instaurer une dictature sanglante.

Limpide et enlevée, cette adaptation prend des allures cartoonesques, grâce aux costumes éclatants mais aussi au jeu vitaminé d’une large et très équilibrée distribution (une dizaine d’artistes). Orchestrés au cordeau, chants et chorégraphies distillent une dérision salutaire au fil de ce sombre réquisitoire aux terribles échos actuels. Comment ne pas reconnaître des errements familiers à voir cette bande de cochons s’attribuer des privilèges, manipuler les moyens de communication à coups de fake news et refuser le progrès sous couvert de théories fumeuses, le tout face à des esclaves corvéables à merci et qui votent comme des… moutons. Fourmillant de références, Animal Farm questionne et divertit à la fois. Petits et grands devraient y caqueter, piaffer, bêler de plaisir !

Catherine Makereel – Le Soir 16 novembre 2022

 

« Animal Farm » : Quand le pouvoir, totalitaire, triomphe par la terreur

Thierry Debroux adapte le roman de George Orwell en un divertissement musical, chanté et dansé. Un choix destiné à rendre cette oeuvre accessible à toutes et tous, dès 8 ans. Au Théâtre du Parc.

Maltraités, mis en cage quand ils ne travaillent pas à labourer les champs, produire du lait, etc., les cochons, chevaux, chèvre, vache… de la ferme de M. Jones vivent dans la crainte permanente d’être envoyés à l’abattoir. Mais lorsque le fermier vient les narguer en leur montrant qu’il a transformé la truie Micheline en saucisson, c’en est trop pour eux. Encouragés par le vieux cochon Sage l’Ancien (excellent Thierry Janssen), les animaux se révoltent et chassent M. Jones de sa propriété. « Il est parti ! Nous sommes libres ! », annonce, pleine d’allégresse, la jument Fleur-de-Trèfle (Béatrix Ferauge)
La ferme est à nous! se réjouissent en choeur les animaux. Et le cochon Beau-Pärleur (Guy Pion) propose de changer le 
nom de la ferme de Monsieur Jones en la Ferme des Animaux. Désormais la vie à la ferme sera réglée par sept commandements visant à instaurer une société pacifiste et égalitaire entre les animaux.

Stéphanie Bocart – La Libre – 13 novembre 2022

 

Animal Farm, d’Orwell, en parodie musicale

Après avoir déjà adapté 1984 au printemps 2019 (mis en scène par Patrice Mincke), le directeur du Parc, Thierry Debroux, s’attaque aujourd’hui à La Ferme des animaux (titre original : Animal Farm. A Fairy Story ), la deuxième œuvre la plus connue de l’écrivain et journaliste britannique George Orwell (1903-1950).

Le court roman (publié en 1945) de cet auteur très engagé à gauche décrit la révolte menée par les cochons pour libérer tous les animaux d’une ferme de la tyrannie du fermier, Mr Jones, et des hommes en général. L’union égalitaire de tous les animaux se réalisera (même les chats renonceront à chasser les rats), la révolution aura bien lieu, mais les suites s’avèreront une déception absolue ; on n’aura assisté qu’à une mutation de maîtres : les cochons qui garderont pour eux le lait et les pommes, c’est-à-dire les richesses de la ferme, dans l’apathie et la soumission des autres animaux.Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres.

 

L’œuvre originale était une critique acerbe du totalitarisme stalinien et des dramatiques dévoiements par lesquels le tyran a totalement défiguré la doctrine initiale du communisme. Dans le roman d’Orwell, le soulèvement animal rappelle la révolution russe de 1917. Dans l’adaptation de Thierry Debroux, on pourrait voir une critique élargie à la politique en général et à certains politiciens dont la fascination du pouvoir et les obsessions mégalomanes expliquent pour bonne part l’essor actuel des mouvements populistes radicaux dans le monde. Nous naviguons dans une confondante contemporanéité, mais attention toutefois à une certaine confusion.

 Comme pour 1984, Thierry Debroux a adapté Animal Farm en un spectacle musical. La musique alerte et syncopée, à l’instar des airs qui soutiennent des slogans ou des marches militaires, est signée Laurent Beumier. La chorégraphie assurée par Emmanuelle Lamberts (qui coréalise aussi le spectacle) s’y adapte parfaitement. Les costumes et les masques pour chacune des races d’animaux de la ferme sont remarquables. Ils parviennent même à reproduire le charme et l’élégance de certains animaux figurés (par exemple, Molly la gracieuse jument interprétée par Hélène Philippe) ou encore la fielleuse et mensongère autorité de Beau-Parleur, le chef des cochons (Guy Pion). La scénographie (Vincent Bresmal, Matthieu Delcourt) est à la fois astucieuse, dépouillée et complexe.

 Une fois encore, Thierry Debroux réussit habilement à réaliser une grande mise en scène. Il faut en tout cas le remercier pour nous avoir mieux fait connaître George Orwell, cet extraordinaire anticipateur, ce visionnaire hanté par l’injustice et l’inégalité, créateur de Big Brother qui prend aujourd’hui les traits de certains dirigeants de très grands pays de la Terre.

 Le soir de la première, le public manifesta un enthousiasme bien sonore, visiblement partagé par la princesse Eléonore et le prince Emanuel qui avaient pris place dans la loge royale.

JC Darman – l’Eventail – 17 November 2022