
Sarah Brahy joue une Dora découvrant avec ivresse la liberté, écartelée entre ses désirs et les impératifs imposés par un monde adulte bourré de contradictions. Elle y va physiquement à fond, interprétant tous les revirements d’émotions, de perceptions antagonistes qui agitent son personnage. Une performance radieuse qui illumine toute la pièce.
Les autres arpentent les espaces avec une froideur terrifiante. Ce sont des gens calfeutrés dans leur monde quasi immuable, réglé par des habitudes. Ils n’accordent nulle place à l’émotivité, aux sentiments, à l’aléatoire des comportements humains journaliers. Ils sont d’ailleurs parfois en total désaveu avec la défense doctrinale de la tolérance et de la liberté prônée par des adultes englués dans leurs propres complexes et les paradoxes de leur conduite.
Le Médecin (Thierry Janssen) se gargarise de concepts énoncés en tant que vérités indiscutables, faits scientifiquement admis, éléments d’une liberté théorique mise à la portée de tous. L’Épicier (Jean-Claude Derudder) ressasse avec une conviction bornée des lieux communs d’un fonctionnement économique et social protectionniste. L’Amant (Nicolas Ossowski) montre les désarrois d’un tiraillement entre une aspiration à la tendresse et une violence exacerbée. La Mère (Beatrix Ferauge) balaie les autres sous ses convictions égotistes en mal de reconnaissance. Le Père (Guy Pion), en homme pressé par des préoccupations matérielles s’insinue comme des courants d’air entre des tensions qu’il ne désire pas percevoir.
La dichotomie entre action et raison expose le problème engendré par un idéal humaniste face aux réalités psychologiques, socio-économiques des êtres. Elle pose avec acuité la question de la responsabilité des aînés vis-à-vis de la jeunesse, de la société vis-à-vis des citoyens qu’elle comporte. Il est difficile de sortir indemne de cette démonstration que Dora rend pathétique et que les autres proposent comme sécurisation inéluctable de la collectivité.
Michel Voiturier – 11 février 2011
Sexe, innocence et hypocrisies
Une pièce dérangeante, une comédienne fascinante et une mise en scène exigeante : il faut avoir un coeur en cuir tanné pour ne pas sortir bouleversé des « Névroses sexuelles de nos parents ».
Certains seront sans doute heurtés par la crudité avec laquelle Bärfuss aborde son propos, mais cette brutalité est comme amortie, soulagée, par la fluide mise en scène de Guy Pion, et surtout le naturel confondant et terriblement attachant de Sarah Brahy en héroïne atypique, agneau sacrifié sur l’autel de nos interdits, de nos non-dits.La distribution est juste de bout en bout, entraînée par une Sarah Brahy époustouflante, sur le fil du rasoir entre l’allégresse de son optimisme inébranlable et l’émotion tord-boyaux de ses efforts maladroits pour « être normale », de ses élans de coeur s’écrasant contre la rationnelle intransigeance du monde. La pièce aurait pu se contenter d’interroger le droit pour tous à une sexualité épanouie, mais elle brasse plus large, grâce aux personnages secondaires, censés représenter la norme, mais dont on découvre les secrètes excentricités et petites habitudes perverses. A travers eux, c’est notre société hypocrite qu’interpelle Bärfuss dans un style à la fois aiguisé et brutal.
Catherine Makereel – Le Soir – 28 janvier 2012
Avec détachement, Lukas Barfuss expose des faits, dissèque des situations, sans jamais prendre parti. Cette distanciation glaciale et glaçante est un coup de poing qui nous jette hors de nos sentiers battus, hors de nos bienséantes pensées pour nous obliger à une solide remise en question.
Guy Pion, dans sa mise en scène, a respecté cette froideur.
Chaque personnage a autant de charisme qu’une machine à glaçons, tout au moins en apparence, car pour peu que l’on gratte derrière chaque apparence ce sont d’immenses fissures qui lézardent ces façades de bon aloi.
Dans cet océan de froideur, Dora, incarnée par une vibrante et émouvante Sarah Brahy, est une véritable flamme à laquelle chacun se brûlera, qui laissera dans l’esprit et dans la vie de tous des traces désormais indélébiles.
Pièce de tous les contrastes, Les névroses sexuelles de nos parents ne laissera personne indifférent. Chacun sortira de la salle avec pas mal de questions à l’esprit. Qu’elles concernent le droit à la sexualité, les limites de celle-ci, les droits des handicapés, l’eugénisme ou les diktats parentaux, peu importe. La première des libertés n’est-elle pas de penser ?
Muriel Hublet – Plaisir d’offrir – 28 janvier 2012