Un Richard III majuscule
Guy Pion dans le rôle-titre, Isabelle Pousseur aux commandes. Belle rencontre au Parc.
Richard III », dit Isabelle Pousseur, est d’abord un texte politique. « Un homme veut nous démontrer qu’il obtiendra le pouvoir, par tous les moyens, dans une liberté absolue et une impunité totale, ceci sans hésiter à sacrifier tous ceux qui lui barrent le chemin, y compris ses plus proches, frères, conseillers, épouse, neveux. »
« Richard III », c’est la jalousie et l’ambition démesurée, la revanche à prendre sur la nature qui l’a fait « difforme » et l’insatiable soif de pouvoir. C’est le mensonge, la rivalité, la frénésie, la manipulation, le complot, la méfiance, le paroxysme de l’infamie, la quintessence de la tragédie. « Richard III », c’est l’excès. C’est aussi le libre arbitre autoproclamé d’un homme qui ne craint pas plus Dieu que la morale de ses pairs. C’est enfin la peur de ce même homme, arrivé par la force à son but – devenir Richard roi d’Angleterre – de perdre la couronne. « Les actes qu’il commet alors vont précipiter sa chute. A aucun moment, il ne pense que le pouvoir est aussi gouvernement des hommes. Cette dimension du politique lui échappe totalement. Manipulateur, narcissique, obsédé de lui-même, il est au fond un très mauvais homme politique. »
Mais, ajoute Isabelle Pousseur, ce qui perd Richard III est sa solitude, son incapacité à considérer l’autre dans son altérité. Or maîtriser la réalité – celle des autres et la sienne – est un leurre. « Rattrapé par elle, il est alors victime de lui-même, de sa propre faiblesse, de sa peur, de ses cauchemars. » Ainsi ce Roi, que viennent hanter les âmes qu’il a sacrifiées, finira-t-il par tomber, vaincu par la réalité plurielle là où il la forgeait univoque selon son gré.
Nonchalance et panache
« Roméo et Juliette » au Public, « Hamlet » à Liège, « Macbeth » à Mons… et « Richard III » au Parc, dans une coproduction du Théâtre de l’Eveil. Shakespeare se porte bien. Et Isabelle Pousseur lui imprime une patte à la fois souple et rigoureuse. Une entame façon cabaret années folles donne au duc de Gloucester prétexte à rébellion contre l’ennuyeuse paix de « ces temps frivoles ». Magistral Richard, Guy Pion, un bras entravé, se fait tour à tour séducteur féroce ou implacable tyran, à qui se rallient les uns quand d’autres le haïssent et le craignent.
Sur une bande-son qui convoque Duke Ellington comme Purcell, et un plateau scénographié avec esprit par Sophie Carlier, une ample distribution embrasse la tragédie sans esquiver l’humour ni l’émotion. Anouchka Vingtier, Béatrix Ferauge, Brigitte Dedry, Philippe Grand’Henry, Simon Duprez, Olindo Bolzan, François Sikivie, Thierry Janssen, Fabien Magry confèrent à leurs personnages une puissance, une présence jamais monochromatiques. Avec aussi Bruno Borsu, Adrien Letartre, Jérémy Mekkaoui ou Sélim Chapel (en alternance dans le rôle du prince Edouard), Madeleine Camus, Mickael Dubois, Arthur Marbaix et Adrien Desbonds. Avec une ferveur teintée de nonchalance, et beaucoup de panache, un « Richard III » mémorable et majuscule.
Dont les jeunes interprètes, au terme de la représentation, par une lettre ouverte du mouvement baptisé « No Culture », attireront sobrement l’attention du public sur la menace que fait planer sur les travailleurs culturels la réforme annoncée du statut d’artiste.
Marie Baudet – la Libre Belgique – Publié le 18 janvier 2014
Shakespeare au Parc : une féconde rencontre. Shakespeare et le Théâtre de l’Eveil montent à la rampe: Richard III et Guy Pion.
Après Dominique Serron et Myriam Youssef, Isabelle Pousseur entre dans la belle lignée des mises en scène féminines au Théâtre Royal du Parc cette saison, imaginée par Thierry Debroux, le patron des lieux.
Cette fois, Shakespeare et le Théâtre de l’Eveil montent à la rampe: Richard III et Guy Pion.Surprenante rencontre, menée rondement dans l’adaptation de Thierry Debroux qui a taillé et reprisé la langue élisabéthaine. On y gagne en clarté des faits et des hommes, on y perd en luxuriance poétique.
Apre et épuré, ce Richard III: Isabelle Pousseur l’affirme politique, dans la quête du pouvoir, sans foi ni loi, un libre arbitre absolu dans la négation de l’autre. Quiconque – homme, femme, enfant – entravant sa montée fulgurante vers la couronne, est tué. Le sursaut et la révolte viendront tard. C’est qu’il a du talent et de l’imagination, Glocester (futur Richard III), pour séduire, tromper, façonner le monde à l’aune de son désir : un vrai acteur, en somme, sur la scène royale… Guy Pion l’assume pleinement, sobre, obscur, glaçant, un bras paralysé contre le corps, la main en poche, seul signe de sa monstruosité physique. Le timbre rauque joue le fiel aussi bien que la séduction, mâtiné de doute et rongé par les cauchemars de ses méfaits (en seconde partie de la pièce) quand le sol de son royaume se dérobe sous son cheval. Un homme terriblement seul… et un chef d’état sanguinaire.
Pas besoin d’une Angleterre du XVe siècle pour évoquer ces temps de sang, universels: uniformes militaires un peu passe-partout, costumes en gris et noir, élégance d’entre-deux-guerres pour les femmes (Natacha Belova). Atout du plateau, la très efficace scénographie abstraite de Sophie Carlier, travaillée par les lumières de Laurent Kaye, garantit la fluidité du spectacle. Elle se réfère aux codes shakespeariens et à la machine théâtrale elle-même : un rideau nacré qui se cintre, dévoile ou masque l’arrière-plan, un podium où se tiennent réunions et exécutions (ni sang ni violence, une cagoule noire suffit), un escalier pour le couronnement et un micro pour «amplifier» discours et monologues, dans les yeux du public.
Comme dans tout bon Shakespeare, même tragique, l’humour et la musique gardent leurs droits: cabaret, Purcell (Le Roi Arthur), jazz, comédie musicale (chorégraphie de Filipa Silveira Cardoso). L’ensemble donne parfois un sentiment de déjà-vu, mais il respire souplement porté par seize comédiens autour de Guy Pion, dont d’excellents Brigitte Dedry, Philippe Grand’Henry, Simon Duprez, Thierry Janssen.
Mais chapeau aussi à Anouchka Vingtier, Béatrix Ferauge, François Sikivie, à la pleiade de jeunes qui ont lu à la fin du spectacle une lettre du mouvement « no Culture », attirant l’attention sur la réforme du statut de l’artiste et les menaces qu’elle semble impliquer.Michèle Friche – Le Soir – 21 janvier 2014
Richard III…ou la rage au coeur.
Richard III est un personnage complexe : froid, manipulateur, frustré, cynique, pitoyable, solitaire, isolé, détesté, détestable.
L’interpréter est un rêve et un challenge pour un acteur tant la palette de sentiments à transmettre est immense : envie, jalousie, amour, rage, panique, colère…
Sur la scène du Théâtre Royal du Parc, Guy Pion est… royal.
Quasi omniprésent, il éructe, il mendie, il supplie, il enrage, il menace, il soudoie, il condamne, il tremble de peur, il combat, il manipule sans fausses notes, sans aucune exagération.Plaisir d’offrir – Muriel Hublet – 21 janvier 2014
Un « Richard III » aussi clair que sombre
« Richard III » de William Shakespeare. Bam ! Voilà du lourd. Plus de 30 personnages et leur pesant de conflits et machinations entre les maisons d’York et de Lancastre. Le tout enchevêtré dans un tissage entre la grande histoire, la quête du pouvoir, les sentiments individuels et des manigances à tout va. A moins d’avoir relu le texte la veille ou d’y avoir consacré son mémoire de fin d’étude, on sait en y allant qu’on va s’y perdre à un moment ou l’autre. Absolument consciente de l’écueil, la metteuse en scène Isabelle Pousser s’est attachée à l’éviter en mettant en forme l’intrigue sans qu’on ait à se demander en permanence qui est qui. Et rien que pour ça, on peut la remercier ! D’autant qu’on sait qu’avec Isabelle Pousseur la clarification ne se fait pas à coup de saccages, mais en fine intelligence. La scénographie choisie s’inscrit parfaitement dans cette veine : un « podium » nimbé d’une colonne de voiles où se jouent les scènes d’intérieurs et le reste de la scène est nu, à l’exception d’un micro sur pied pour les apartés, les harangues, les réflexions. Ce micro est empoigné, un (non) lever de rideau par Mistress Shore, courtisane catin, ici en version travestie, campée par un Adrien Letartre qui nous gratifiera plus tard d’une scène mémorable, à moitié nu dans la chambre de Lord Hastings. Nous n’en dirons pas plus pour ne pas déflorer l’effet stupéfiant qu’il produit. La scène finale de la bataille est, elle aussi, mémorable. Entièrement chorégraphiée, sur une musique de percussions des Tambours de Bronx, elle est captivante. Et elle envoie aux oubliettes les quelques passages en creux, quasi inévitables avec Shakespeare. On ne pourra citer les 17 acteurs en scène, mais on ne peut pas passer sous silence l’intense prestation de Guy Pion qui donne forme humaine à cette soif de pouvoir et de revanche qu’incarne Richard III. Guy Pion compose un Richard III odieux et machiavélique à souhait, tout en parvenant à lui donner un visage humain.
Un roi qui se meurt
Le Théâtre Royal du Parc propose Richard III.
Un formidable tyran que l’on suit dans son ascension, puis la chute de ce monstre, vil et méchant, assassinant frère, neveux, femme, avec un humour noir, sublime et terrifiant…
Bref, c’est une chute hallucinante et féroce de celui qui vendrait son royaume contre un cheval pour garder la tête du pouvoir, ce roi orgeuilleux, hostile et ignoble qui voue une haine féroce à la frivolité du monde qui l’entoure.
C’est l’audacieuse Isabelle Pousseur qui signe une mise en scène à la fois dépouillée, essaimée d’accents des années folles et des allures de cabaret, qui rendent toute l’horreur du personnage, toute l’inquiétante étrangeté d’un roi affamé de pouvoir au règne taché de sang.
Un personnage interprété magnifiquement par Guy Pion qui rend toute la complexité de cette cruauté si encombrante, tellement humaine au fond.Jean-Roger Pesis – Marianne (édition belge) – 1 février 2014
Cécile Berthaud – L’Echo
En dehors des prestations impeccables de Guy Pion (Gloucester) et de Simon Duprez (Buckingham), les personnages féminins sont particulièrement bien étudiés et remarquablement interprétés. Anouchka Vingtier (Lady Ann), Beatrix Ferauge (Lady Gloucester), Brigitte Dedry (Lady Elisabeth) sont, toutes, admirables. Et le reste de la distribution, à l’avenant!
Deshachelle – Arts et Lettres
Richard III, coeur de Pion
cultureremains.com
RICHARD III , une magnifique découverte d’un texte superlatif, une mise en scène époustouflante , un décor frappant , 17 acteurs brillants et une prestation prodigieuse de Guy Pion dans ce personnage clé de RICHARD III
Le blog de Roger Simons – Les feux de la rampe