Si c’est chanté, c’est pas perdu…

Récital/Concert

Un émouvant réveil des mémoires

Des mots d’hier à l’incroyable justesse d’aujourd’hui, des chants par de belles voix gorgées de conviction, de révolte, de larmes, des instruments sous-tendant l’arc des mots et décochant leurs flèches. Et des artistes avec un coeur, un talent, un engagement à renverser des montagnes. Le spectacle « Si c’est chanté, c’est pas perdu », créé au Festival au Carré, a frappé fort à Mons.

On connaît l’art du comédien Guy Pion. Mais qui lui connaissait, sinon les intimes, cette envie tenace de chanter ? Porté par l’enthousiasme de Daniel Cordova, directeur du festival, il a osé. Et il a chanté comme un pro, de ces textes qui lèvent les révolutions et réveillent la mémoire des gifles à la dignité humaine.

Ils se sont donc retrouvés côte à côte, les Canuts, ces ouvriers tisserands lyonnais, d’Aristide Bruant, les Chiliens de Jorge Jara, les Portugais de la révolution des OEillets (« Grândola vila Morena », 1974), « Le front des travailleurs », de Bertolt Brecht et Hans Eisler, « Le chant du marais » (déportés des camps de concentration), « La Gorizia » des Italiens (1916), « El tururururu » de la guerre civile espagnole… et d’autres encore. Le célèbre antimilitariste « Déserteur » de Vian (guerre d’Algérie, 1954) a retrouvé sa version non édulcorée : Si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes que je tiendrai une arme et que je sais tirer. Et le « With God on our side » (avec Dieu à nos côtés), signé Bob Dylan en 1963, explose d’une sidérante actualité.

En trio, duo ou solistes se croisent les superbes voix chaudes de Delphine Gardin, Roberto Cordova, et celle de Guy Pion, insoupçonnée, réelle, qui passe du parler au chanter, de la précision historique au poème, avec une force égale. Ajoutez-y la mise en scène de Charles Cornette, qui fait de ce récital un vrai spectacle rythmé en contrastes de tons et de lumières, et l’époustouflant travail de recréation et d’imagination musicale qu’ont mené Pascal Charpentier et ses cinq musiciens. Et l’on ne peut imaginer que ce spectacle s’arrête après trois soirs de festival. Il y a urgence, encore et toujours, à secouer les mémoires : La poésie est une arme chargée de futur (Gabriel Celaya/Paco Ibanez).·

« Coqs sanglants » Extrait du « Chant de la Moldau » (Brecht/Smetana).

Au fond de la Moldau roulent même les pierres… Tout n’est que changement. Les puissants qui gouvernent peuvent bien dresser des plans, leur triomphe a un terme. Ils ont beau parader comme des coqs sanglants, rien ne les sauvera, tout n’est que changement.

Michele Friche – Le Soir – 9 juillet 2003